Ah, je ne sais pas vraiment comment me définir… Je dirais que je suis un skipper, spécialiste des courses au large depuis 13 ans. Provençal d’origine, né à Aix-en-Provence, aujourd’hui Breton, puisque je suis venu m’échouer dans les alentours de Lorient il y a près de 20 ans, soit plus de la moitié de ma vie.
Y : Voilà votre autoportrait ? Vous ne seriez qu’un marin de compétition ?
Non, je n’espère pas ! J’ai plein d’autres facettes. Je pense être assez
aventurier en fait. J’aime les grands espaces et j’adore la montagne
par exemple. J’aime aussi la prise de risque, le sport en général et,
c’est vrai, la compétition. Et là je préfère gagner ! (rires)
Y : Seule la victoire finale compte ?
Je suis très accrocheur. Mais ce qui me plaît dans la victoire, c’est
qu’elle démontre une bonne démarche initiale. Car j’aime le travail bien
fait et que j’essaye toujours de mettre le maximum de plaisir dans ce
que je fais. Je suis assez épicurien à vrai dire. C’est ce qui me permet
d’accomplir les choses avec beaucoup de sérénité.
Quand je m’engage dans quelque chose, c’est que j’en ai envie, ce n’est
jamais pour des raisons vénales. J’ai le privilège de vivre de la voile
et de ma passion, moi ça me suffit amplement…
Y : Après avoir remporté le Jules Verne (48j, 7h, 44m, 52s)
et la Route du Rhum en 2010, vous vous attaquez à la Volvo Ocean Race.
La confrontation directe a votre préférence ?
Oui, il y a plus d’intérêt à se battre en direct, quand chaque
concurrent dispose des mêmes conditions. La météo est alors identique
pour tous. Sur un record, c’est différent, on peut partir quand on veut.
Un Jules Verne réalisé en situation de course aurait par exemple été
plus prenant. En compétition, le record m’intéresse aussi, mais ce que
je veux, c’est être devant le 2e.
Y : Après le Jules Verne et le Rhum, vous avez vite enchaîné sur ce nouveau défi. Pourquoi ?
Le Jules Verne est un très beau record et une aventure fantastique.
Personne ne pourra nous enlever cet exploit qu’on pourra savourer toute
notre vie. Maintenant, on est sur autre chose, de tout aussi
passionnant. Mais je reste capable de décrire toutes les journées de
notre périple, comme si c’était hier.
Y : Défi relevé ! Disons au milieu du record, où étiez-vous ?
La première image qui me revient, c’est notre passage au large de l’île
d’Auckland, au sud de la Nouvelle-Zélande. Une des 3 occasions où l’on a
vu la terre avec le Cap Horn et des îles au large du Brésil. Il y avait
des énormes algues, des falaises avec des cascades incroyables. Un coin
où personne ne vit. Il faisait froid et on se barrait vers le Sud.
C’était la fin de l’océan Indien, le Pacifique s’étalait devant nous.
C’était un moment tendu, avec pas mal de stress. On commençait à entrer
dans les glaces et il fallait être vigilant.
Y : Revenons à la Volvo Ocean Race. Pourquoi choisir cette épreuve d’où sont absents les Français depuis bien longtemps ?
D’abord parce que c’est la course internationale au large la plus vieille et qu’elle est très célèbre hors de nos frontières.
À l’inverse, le Vendée Globe, populaire chez nous, est méconnu ailleurs
parce que c’est une solitaire et que les étrangers y participent peu.
Pour eux, l’équipage prime. Et puis, après le Jules Verne, nous avions
envie de poursuivre notre aventure collective avec un challenge de très
haut niveau.
Y : Vous ne serez pas les favoris de la course. Qui faudra-t-il suivre de près ?
Je pense que les Néo-Zélandais sont favoris, ils ont une super
organisation et une équipe exemplaire. Leur façon de faire, c’est
peut-être ce qui nous manque à nous en France. Chez eux, tout est centré
autour d’un seul team, toute l’énergie et toute l’économie vont dans un
même sens.
Y : Il y a trop de marins en France ?
Il y en a certainement autant en Nouvelle-Zélande, sauf que les
meilleurs se regroupent sous une même bannière. La Fédération Française
de Voile pourrait le faire, mais n’y arrive pas visiblement.
Là-bas, plus tu es bon, plus tu arrives en haut de l’échelle. Ici, il y a
trop de chapelles. Ce qui a aussi ses avantages puisque ça permet
d’avoir 15 bateaux au Vendée Globe. Mais cet évènement restera toujours
plus facile à vendre qu’une longue course en équipage telle que
l’America’s Cup ou la Volvo. Car il coûte 5 fois moins et rapporte 5
fois plus…
Y : Vous avez un team international pour cette compétition. Comment l’avez-vous construit ?
J’ai voulu m’appuyer sur 2 personnes qui en avaient déjà l’expérience.
D’abord l’Irlandais Damian Foxall qui vit en France et qui navigue sur
la Solitaire du Figaro. Il a déjà couru pas mal de fois la Volvo Ocean
Race. Enfin, il y a Laurent Pagès que l’on connaît un peu plus en
France. Ce sont eux qui m’ont ensuite ouvert le monde anglo-saxon de la
Volvo pour recruter le reste de l’équipe.
Y : Il a donc fallu leur faire confiance. C’est important cette relation avec vos coéquipiers ?
Oui, c’est primordial. Je suis quelqu’un qui responsabilise beaucoup les
autres dans le travail. J’imagine que certains pensent le contraire
(rires). Parce que c’est impossible de tout faire soi-même. La
difficulté est de trouver la personne adoptant la même démarche que soi.
Plus on vieillit et plus cela est difficile : on a davantage d’idées
arrêtées et il peut donc y avoir des clashs. Au final, je suis
responsable des choix. C’est une charge certes, mais c’est aussi
jouissif d’être le décisionnaire. Et si la peur de mal faire existe,
cela ne me traumatise pas. Je sais que je peux me tromper car j’aurais
fait les choses honnêtement.
Y : Vous avez aussi opté pour l’architecte Juan Kouyoumdjian
qui a conçu, en plus du vôtre, 3 autres bateaux qui se présenteront à la
compétition. Pourquoi ce choix ?
On a travaillé pendant longtemps avec Vincent Lauriot-Prévost avec qui
on était dans une relation de partenariat. Cette fois, nous avons eu
envie de procéder différemment et Juan est double tenant du titre sur la
Volvo Ocean Race… Avec lui, on était plutôt dans une relation
prestataire-client. Nous avions quand même du répondant avec notre
cabinet d’études qui avait accumulé une belle somme de travail. À côté
de ça, on a pu avancer avec Juan sur des points plutôt productifs, même
si on a parfois l’impression de ne pas avoir été assez loin faute de
temps. Mais comme il avait d’autres bateaux à concevoir, il fallait bien
arrêter des choix.
Y : Ce n’est pas un risque d’avoir fait appel à lui dans ces conditions ?
On était au courant. Si on l’avait eu pour nous tout seul, ça nous aurait coûté 3 fois plus cher.
Y : Comment Groupama peut-il faire la différence sur cette course ?
Ce sont les détails qui feront la différence. Nous n’avons pas voulu
faire un bateau extrême. Avec Groupama, nos bateaux sont costauds, ils
peuvent vraiment gagner des courses. Pour y arriver, il faut un engin
polyvalent avec peu de points faibles. Comme notre bateau n’est pas un
hydroptère qui va vite sur 500 mètres, on essaiera de gommer nos défauts
pour qu’il ne soit jamais moins bon que les autres dans les différentes
configurations. C’est ainsi qu’on pourra rivaliser.